
En étendant ses rachats d’actifs aux obligations d’entreprises, la banque centrale a permis de faire baisser le coût de financement. Cela a toutefois faussé le jeu de la concurrence. La remontée des taux risque ainsi d’impacter plus durement les entreprises non financées par la BCE. En revanche, celles qui ont la banque centrale comme prêteurs auront moins de soucis à se faire.
En à peine dix mois, la Banque centrale européenne a déjà acheté l’équivalent de 81 milliards d’euros de titres, depuis qu’elle a étendu son programme de Quantitative Easign aux obligations d’entreprises.
D’après les estimations de Mathilde Lemoine, chef économiste d'Edmond de Rothschild, qui a passé au crible, ligne par ligne, les obligations rachetées par la banque centrale, près de 867 entreprises sont désormais financées par l’institution européenne. Parmi celles-ci figurent de grands groupes comme Vinci, Bouygues, Airbus ou encore EDF.
Les entreprises françaises représentent le gros du portefeuille de la banque centrale, soit 27 %, devant les entreprises allemandes (25 %), italiennes (11 %) et espagnoles (10 %).
Le plus surprenant, c’est qu’on y trouve aussi des sociétés situées hors de la zone euro telles que Caterpillar ou Coca-Cola. Il est vrai que les titres achetés ont été émis par des filiales implantées dans la zone euro, mais la question est de savoir si les montants levés ont bien servi pour les activités de ces groupes en Europe.
Mathilde Lemoine.
À travers ces rachats, le but de la banque centrale était effectivement d’inciter les entreprises de la zone euro à relancer leurs investissements, en réduisant le coût de financement des entreprises. Sur ce point, il faut croire que l’objectif a été atteint.
La simple annonce du programme a conduit à une baisse de la prime d'assurance - les CDS – exigée pour détenir de la dette d'entreprises solides (catégorie investissement) et même moins solides (catégorie spéculative)
Mathilde Lemoine.
Globalement, les rendements fixés par les entreprises de la zone euro ont reculé, la plupart d’entre elles ont même pu, sur une maturité plus courte, emprunter à un taux en dessous de zéro.
Sauf que le programme de la banque centrale a aussi contribué à fausser la concurrence entre les entreprises qu’elle finance et les autres, ce qui pourrait se faire durement sentir en cas de remontée des taux.
Il faut s’attendre à ce que les coûts de financement des entreprises dont les obligations ne sont pas dans le portefeuille de la BCE croissent plus vite que les autres
Mathilde Lemoine
Si les émetteurs sont moins exposés en cas de remontée des taux, ce ne sera pas forcément le cas des investisseurs. Étant donné que la banque centrale n’a pas révélé le montant alloué à l’achat de chaque ligne obligataire, rien ne permet d’estimer son poids, et donc d’anticiper une évolution future du rendement de l’obligation.
Si ce dernier reste stable quand les taux repartent à la hausse, les investisseurs classiques vont se retrouver avec des titres affichant une prime de risque négative.
Pour Mathilde Lemoine, la banque centrale, qui n'est pas un investisseur comme un autre, a tout intérêt à être plus transparente.